Emprunter de l’argent qu’on ne possède pas, c’est un service financier qui joue un rôle essentiel dans le financement de l’économie à toutes les échelles, et c’est le service classique que toute banque en bonne et due forme propose.
Cela dit, si les crédits bancaires sont omniprésents dans le monde financier d’aujourd’hui, c’est beaucoup moins le cas lorsqu’on l’applique à la blockchain.
Ces services existent, mais à une échelle bien plus modeste pour tout un ensemble de raisons qui sont expliquées dans l’édition de cette semaine.
Les prêts lombards sont omniprésents
Dans la finance décentralisée (DeFi) telle qu’on la connaît aujourd’hui, le système principalement utilisé est le “prêt lombard”.
Dans ce système, l’emprunteur dépose des actifs financiers (actions, obligations, cryptos…) comme collatéral pour obtenir un prêt, et ce collatéral est restitué lorsque la dette est remboursée.
Pour s’assurer que tous les emprunts soient solvables, le montant du prêt est limité à un pourcentage de la valeur des actifs déposés (ex: $80 empruntés pour $100 déposés = 80%). Si ce pourcentage est dépassé, le collatéral est saisi pour rembourser la dette.
À l’heure actuelle, tous les plus gros protocoles DeFi utilisent ce système.Que ce soit pour émettre des stablecoins ou pour emprunter d’autres cryptomonnaies, le prêt lombard est utilisé partout, et c’est normal.
Avec la blockchain, on peut savoir en temps réel quelle est la valeur du collatéral ainsi que la dette de tous les utilisateurs. Grâce aux smart contracts et la mise en place de bots, le processus de liquidation est automatisé, ce qui fait que la blockchain est particulièrement adaptée au prêt lombard.
Cependant, le prêt lombard présente un problème: on ne peut emprunter que si on possède déjà des fonds à déposer. Autrement dit, les utilisateurs qui disposent d’un capital important peuvent réaliser des emprunts importants, et les utilisateurs qui ne possèdent aucun capital ne peuvent réaliser aucun emprunt.
L’utilisateur dépourvu de capital qui souhaite lancer un projet se retrouvera forcément lésé par ce système, alors que le crédit bancaire sera beaucoup mieux adapté à ses besoins. Encore faut-il savoir comment le crédit bancaire fonctionne.
Comment se passe un crédit
Avant de réaliser un crédit bancaire, l’entité qui se porte garante (une banque par exemple) doit établir le risque de crédit (ou “Risk Assessment”) des entités qui souhaitent le contracter.
Le risque de crédit est un secteur à part entière qui analyse les comptes financiers attribuant des notes en fonction des probabilités de défaut des utilisateurs, qu'il s'agisse de pays ou d'entreprises.
Il y a deux éléments principaux à prendre en compte pour évaluer le risque de crédit:
- La probabilité qu'une contrepartie manque à ses obligations
- La perte attendue en cas de défaut
L'analyse du risque de crédit porte généralement sur les "cinq C" :
- Caractère, l’historique de crédit de l’utilisateur concerné
- Capacité, le ratio dette/revenu de l’utilisateur
- Capital, le montant du capital que l’utilisateur veut mobiliser par rapport à ce qu’il possède
- Collatéral, dans notre cas l’utilisateur peut avoir une garantie moindre (voire nulle) par rapport à son prêt
- Conditions, la façon dont le crédit est utilisé)
Pour les banques, elles possèdent leur propre système de notation pour estimer le risque de crédit d’un particulier. À l’échelle des pays, ce sont les agences de notation qui sont chargées d’évaluer leur risque de crédit. Il existe des agences bien connues comme Fitch, Moody's ou Standard & Poor's qui attribuent des notes basées sur des lettres (par exemple AAA, CCC+) qui correspondent à des probabilités de défaut. Pour les blockchains, ce sont les smart contracts qui font foi pour établir le risque de crédit d’un utilisateur, et ça permet la mise en place de plusieurs méthodes différentes :
- Évaluation par des tiers. Ces tiers peuvent prendre la forme d’une DAO (organisation autonome décentralisée) ou d’une entreprise spécialisée comme Credora qui fournit des analyses de données financières.
- Historique on-chain. On utilise l'historique des activités d'un portefeuille crypto sur la blockchain pour construire un profil de crédit.
- Intégration de données off-chain. On importe des données extérieures à la blockchain (vérification d’identité, relevé de compte…) pour aider à l’évaluation du profil.
En théorie, il est possible d’automatiser complètement l’évaluation du risque de crédit des utilisateurs grâce aux smart contracts. Mais dans la pratique, ce système serait beaucoup trop facile à exploiter par rapport au prêt lombard, d’où la nécessité d’intervenir en dehors de la blockchain. Un secteur très risquéMême lorsqu’il y a une intervention humaine derrière l’évaluation du risque de crédit, il peut toujours y avoir des dérapages. Le meilleur exemple pour illustrer ce problème est Goldfinch. Il s’agit d’un protocole de prêts et d’emprunts sous-collatéralisés lancé en 2021 qui a souffert de 3 défauts de paiements, respectivement de $5 millions, $7 millions et $10.2 millions. Ces défauts de paiements sont survenus notamment à cause de problèmes avec l'évaluation de crédit, mais la faute venait également de Goldfinch, avec un manque de mises à jour sur l'état des prêts. La gestion du risque est un aspect important de la finance décentralisée, et cette dernière devient vitale dans les crédits sur la blockchain où la solvabilité est faible. D’autres risques sont aussi à prendre en compte, comme la gestion des données. Certains protocoles nécessitent une vérification d’identité (KYC), voire l’envoi de documents bancaires pour vérifier si un utilisateur est éligible pour un crédit ou non. Il s’agit de données sensibles qui ne devraient pas être à la vue de tous les utilisateurs, car le partage de données personnelles ou financières off-chain peut exposer à des risques de violation de la vie privée. Certaines entités comme Credora utilisent les preuves ZK (zero knowledge) pour la confidentialité, mais tous les protocoles DeFi ne gèrent pas ces données de la même façon. Pour toutes ces raisons, les crédits sur la blockchain restent globalement en retrait dans l’industrie de la finance décentralisée.Un avenir prometteur
Quand bien même les crédits sur la blockchain sont encore en phase d’expérimentation, il existe déjà plusieurs protocoles en production montrant des signes encourageants tels que Maple, Clearpool ou TrueFi qui montrent un taux de défaut faible comparé à la totalité des crédits réalisés.
Certains projets tels que Wildcat comptent exploiter les outils qui ont été développés comme le TLS (Transport Layer Security), un protocole qui permet une communication sécurisée et l'attestation de la légitimité des données entre les parties prenantes, sans révéler toutes les données.
Cette technologie pourrait être utilisée dans plusieurs cas :
- Vérifier les actifs détenus et la liquidité des emprunteurs.
- Prouver les risques de crédit sans révéler les données personnelles
Ce qui serait indispensable pour respecter la vie privée, ainsi que les réglementations en vigueur concernant la gestion des données.
En parallèle, les prêts bancaires représentent un marché immense. Selon la Banque des Règlements Internationaux (BRI), les actifs bancaires mondiaux s'élevaient à environ $155 000 milliards en 2020.
Même si on estime que la finance décentralisée est encore trop jeune pour se lancer dans ce marché, nous devons garder à l’esprit que certaines technologies attendues depuis des années deviennent enfin utilisables, notamment du côté des preuves ZK.
À long terme, il est possible de voir émerger des protocoles consacrés aux crédits avec une gestion du risque/des données appropriées, qui pourrait éventuellement influencer le secteur bancaire tel qu’on le connaît.
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